MANDAT, TRAVAIL SOCIAL, FAMILLES

MANDAT, TRAVAIL SOCIAL, FAMILLES

Journées d’étude de l’Association Varoise de Thérapie Familiale Systémique
Hyères, mai 2005

Cette intervention se situe dans le cadre d’une approche systémique du travail social, approche qui s’est développée. La notion de « contrainte » découlant du mandat ne permet pas de parler de thérapie mais d’intervention systémique psycho éducative (1) ou thérapie non déclarée en référence à Mara SELVINI (2). Ceci n’exclu pas que les travailleurs sociaux oeuvrant dans un cadre plus classique trouvent dans ces réflexions matière à enrichir leur savoir faire.
La notion de mandat a donné lieu à de nombreuses discussions dans le monde socio-éducatif. Ici, nous le concevrons dans le sens d’une décision d’une autorité administrative ou judiciaire qui légitime une intervention d’un travailleur social.
Les travailleurs sociaux interviennent sur mandat – qu’il soit administratif ou judiciaire - le mandat défini le contexte de l’intervention, sa durée, éventuellement des conditions particulières. Lui seul justifie l’intervention du travailleur social.
Si pour le travailleur social il constitue un document habituel, pour la famille c’est une chose nouvelle, compliquée, souvent disqualifiante. C’est dans tous les cas un événement qui peut modifier, interroger, rigidifier, chroniciser les interrelations familiales.

Quelques expériences m’ont amené à réfléchir sur l’impact du mandat sur le ressenti du jeune et/ou de la famille et donc dans le processus éducatif par :

  • Disqualification parentale :

Des parents sont arrivés très en colère au service : « pourquoi le juge dit que la santé  la moralité et l’éducation de notre enfant est en danger ? »
Quand nous avons crée la consultation familiale pour les problèmes de l’enfance et de l’adolescence à Limoges en 1981, nous nous sommes rapidement rendu compte que l’ordonnance du juge qui confiait à cette consultation sous entendait pour la famille par son libellé « confions la mesure à la consultation familiale pour les problèmes de l'enfance et de l’adolescence » qu’il s’agissait d’une mauvaise famille ou tout au moins qu’elle avait failli dans son rôle d’éducation.

  • Disqualification de la mesure

Les jeunes confiés au titre de l’ordonnance de 45 sur l’enfance délinquante avaient tendance à considérer le jugement comme une absolution, l’effacement du délit. Le décorum du tribunal n’est peut-être pas étranger à ce phénomène. Tout se passait comme si le placement n’avait pas de lien avec l’acte posé et ce sentiment contribuait à déresponsabiliser le jeune de son passage à l’acte. Ceci pose d’ailleurs le problème du placement au titre de l’article 375 du code civil suite à un délit.

  • Confusion par les travailleurs sociaux entre le bien fondé d’une décision et le vécu par le jeune et/ou la famille

Dans des  CEF (centre éducatif fermé), le personnel disait d’entrée au jeune «  ta venue ici est une chance pour toi !» Du point de vue du travailleur social ce n’est pas faux, mais du point de vue du jeune… ! Autant lui demander de faire une lettre de remerciement au magistrat ! Aborder le mandat en disant qu’il s’agit d’une peine sévère justifiée par les actes posés mais que lui, le jeune, peut en faire autre chose en préparant son avenir, est bien différent.

Avec une collègue nous avions initié un groupe de thérapie dans une institution de filles. Préalablement à l’entrée dans le groupe, nous avions un entretien individuel avec chacune des filles. Nous étions confrontés à un enthousiasme tout relatif de celles-ci. Nos avons abordés cette difficultés avec S.HIRSCH avec qui nous étions en supervision. Il a mis l’accent sur notre façon de conduire cet entretien et en particulier que nous annoncions cette proposition comme une bonne nouvelle alors qu’il provoquait chez l’adolescente un questionnement : pourquoi moi ? Ils me pensent folle ?... En fait pour elle, il s’agissait d’une mauvaise nouvelle !

Les différents types de mandat :

  • Décisions judiciaires

Au pénal    

Le Juge en chambre du conseil, le tribunal pour enfant, le juge d’instruction ou le Procureur de la république, chacun dans leur domaine de compétences peuvent ordonner :

  • un recueil de données socio éducatives ; il s’agit d’une mesure courte, 15 jours, visant à donner au juge des enfants ou au procureur des informations sur le bien fondé de l’intervention. Cette mesure est exercée par les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ;
  • une enquête sociale ;
  • une investigation d’orientation éducative (IOE). D’une durée maximale de 6 mois,  elle demande à un service habilité, associatif ou public, de faire une investigation approfondie des difficultés du jeune et de sa famille. Le magistrat peut l’assortir d’examens obligatoires comme examen psychiatrique, bilan scolaire ou professionnel…Dans tous les cas il s’agit d’une intervention pluridisciplinaire ;
  • une mesure de liberté surveillée. C’est une mesure de milieu ouvert qui peut être prise à titre principal lors d’un jugement ; mais elle peut être ordonnée avant le jugement, elle est dite alors « préjudicielle » ;
  • une mesure de réparation, elle requiert l’accord de la victime pour être ordonnée ;
  • un travail d’intérêt général (TIG) ;
  • un sursis avec mise à l’épreuve ou un sursis simple ;
  • un placement dans une institution habilitée ;
  • un placement dans un centre d’éducation renforcée (CER) ;
  • un placement dans un centre d’éducation fermé (CEF) ;
  • une peine de prison ;
  • un suivi socio judiciaire. Cette mesure rare pour les mineurs est liée à un délit ou crime sexuel et constitue une mesure de suivi après l’exécution de la peine principale.


Au civil :

Le juge des enfants peut ordonner :

  • une investigation à orientation éducative ;
  • une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) ;
  • un placement dans un établissement ;
  • confier au service d’aide sociale à l’enfance (ASE) ;

Le juge aux affaires familiales :

  • une mesure de médiation familiale (après accord des parties);

des points rencontre ou de passage.

Décisions administratives :

  • des mesures de médiation ;
  • des mesures d’action éducative en milieu ouvert ;
  • des médiations familiales ;
  • des points de rencontre ou de passage ;
  • des placements en établissements.

Ces différents mandats ne sont pas du même ordre :

Les mandats pris au titre du pénal sont des mandats individuels. Ils ont un aspect particulièrement contraignant et se référent à des actes répréhensibles commis par la personne faisant l’objet du mandat.

Les ordonnances émanant du juge des enfants au civil peuvent concerner un enfant ou plusieurs. Elles mettent directement en cause le milieu familial comme inadéquat au moins à un moment donné. Les mesures d’AEMO doivent être circonstanciées, le fait de citer le texte de l’article 375 « la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises » a été jugé insuffisant par la Cour de Cassation. Pour les travailleurs sociaux cette précision des attendus est extrêmement importante, elle servira de base au travail avec la famille, à fixer avec elle les premiers objectifs du travail.

Les ordonnances du juge aux affaires familiales sont prises après consentement des personnes.

Pour les mesures administratives, ce consentement est formel. Il fait l’objet d’un contrat entre la famille et les services du conseil général. De nombreux Conseil généraux ont mis en place une commission qui entre autres, évalue le bien fondé de la demande. Ce passage en commission peut être vécu comme la confirmation de la défaillance familiale.

Dans tous les cas la mesure prise modifie la situation familiale, un tiers a constaté, mis l’accent, voire condamné le processus éducatif familial. Les sentiments de honte, d’injustice, d’acharnement judiciaire ou administratif sont généralement présents même si nous n’avons pas toujours la chance qu’ils soient exprimés clairement.

Que le mandat soit administratif ou qu’il émane d’une décision judiciaire au civil, l’autorité mandante a l’obligation d’agir avec le consentement de la famille (mandat administratif) ou de «s’efforcer de recueillir l’accord de la famille » (mandat judiciaire civil). Même lorsqu’il s’agit d’un véritable contrat écrit comme dans le cas des interventions de l’aide sociale à l’enfance, cet accord est toujours ambigu. La famille a le sentiment de ne pas avoir de choix, même lorsqu’elle est à l’origine de la saisine. Elle donne son accord pour une mesure dont les objectifs sont flous, les moyens inconnus, les processus ignorés, il ne s’agit pas d’un consentement éclairé. Ces circonstances sont à l’origine de nombreuses difficultés, d’incompréhensions, entre les travailleurs sociaux et les familles. Le travail d’appropriation du mandat par la famille ou/et le jeune reste à faire.

Au civil ou au pénal l’intervenant social est ressenti par la famille comme faisant parti de l’instance qui a ordonné la mesure.

Dans le cadre pénal il ne peut, au risque de décrédibiliser la mesure, faire comme si la contrainte n’existait pas. Mais en même temps, il se situera comme une ressource pour le jeune et sa famille. Travailler les contraintes énoncées  ou découlant de l’ordonnance judiciaire constitue un moyen pour trouver sa juste place. Tracer les limites de son autonomie et repérer clairement les points sur lesquels il est lié par le mandat permettra d’établir la proximité et la distance. Un vieil ami éducateur disait au jeune qu’il prenait en charge « tu ne peux pas me faire une entière confiance, tu sais que je rendrai compte au juge, mais je te dirai toujours ce que je vais lui dire ». Cette phrase loin de couper le lien entre lui et le jeune, renforçait au contraire la possibilité de proximité en la bordant, la clarifiant sans laisser place à une pseudo proximité ou l’autre s’abandonnerait sans connaître les conséquences.

L’intervention dans le champ du code civil est définie comme une intervention d’aide. Le travailleur social peut être ressenti par la famille :

  • en spécialiste qui va trouver la solution,
  • en parent de substitution qui va éduquer le jeune,
  • en ennemi,

comme un possible confident ou complice pour un membre de la famille.
Mais dans tous les cas, avec le risque d’une rivalité avec la famille. Qui sera un meilleur parent ? D’où l’intérêt pour le travailleur social de se situer par rapport au mandat. Comment allons-nous faire ensemble pour montrer au juge (au conseil général) que la situation change ?

Dans l’intervention sur mandat, le travailleur social est toujours confronté à des problèmes de loyauté vis à vis du mandant et de la famille. La loyauté est comme l’impartialité, la neutralité ou l’objectivité, elle n’existe pas en elle-même mais découle du fait que l’intervenant se pose le problème.

Le temps du travail social est bordé par le mandat. Cette contrainte s’applique à tous : famille, jeune, intervenant. Ceci implique pour les intervenants de ne pas ouvrir des attentes et des processus qui ne pourraient être terminés dans le cadre du temps déterminé (1). La tentation existe parfois pour les intervenants de continuer en dehors du mandat, même lorsque la famille est demandeuse ; une telle attitude disqualifie la mesure. Celle-ci a souvent permis d’accélérer la prise de conscience de la nécessité du changement. Poursuivre le travail en dehors du temps déterminé peut créer une dépendance entre la famille et le travailleur social avec le risque d’une chronicisation des interrelations ; le travailleur social devenant lui aussi un membre indispensable au système familial qui n’a plus la faculté d’évoluer pour s’adapter aux situations nouvelles. Une orientation vers une démarche extérieure laissée à l’initiative de la famille sera plus appropriée.

Le mandat demande toujours un rendu compte de la situation.

Dans les mesures de médiation, ce retour au mandat peut être fait sous la forme d’accords conclus entre les protagonistes et proposés aux autorités par eux mêmes.

Pour les autres mesures, ce retour au mandant suppose que le jeune, la famille soit informé de l’obligation de ce retour, de sa forme et de la connaissance qu’ils auront de son contenu. La législation prévoit l’accès aux personnes à l’ensemble des pièces du dossier. Ne pas communiquer sur la façon dont nous procéderons, sur la connaissance préalable à son envoi peut être un frein au travail et à l’établissement d’une relation de confiance. L’écrit ne peut pas être censuré du fait de sa communication aux personnes, le mandant doit avoir tous les éléments pour une prise de décision et rien que ces éléments là, ce qui exclu toute tentation de « compléter » oralement les rapports. Ceci est particulièrement important pour les mesures judiciaires au titre des droits de la défense.

Nous avons vu que le mandat constituait pour la famille une mauvaise nouvelle, même si ce n’est pas le premier, même si elle l’a sollicité.

Des médecins ont constaté que leurs préconisations n’étaient souvent pas suivies d’effets alors que le pronostic vital en dépendait. Le patient au contraire développait souvent des comportements régressifs tels que  boire ou fumer en cachette comme si cela était moins nocif. C’est à leur demande qu’une technique d’intervention a été mise au point, appelée « technique de crise », je lui préfère le nom de « technique de la mauvaise nouvelle en matière de travail social ».
Elle se déroule en trois phases :
compréhension de la mauvaise nouvelle,
intégration de la nouvelle,
comment faire avec cette nouvelle donne.

1- Compréhension et appréhension de la mauvaise nouvelle :

La décision judiciaire a été annoncée lors de l’audience mais dans le contexte, dans l’émotion du moment, dans le jargon judiciaire elle n’a pas été entendue ou mal comprise.
La décision administrative  est souvent  communiquée par courrier, voire par le travailleur social qui vient dans la famille. Elle arrive de longs mois après la demande quand il y a eu demande de la famille. Il faut préciser que de nombreux services d’aide à l’enfance ont institué une commission qui valide le bien fondé de la demande ; cette validation est la confirmation de l’impuissance de la famille, de sa faute d’éducation.
Le premier travail consiste à reprendre avec les personnes les termes de l’ordonnance, de ses attendus, ou de la décision administrative qui, elle, fait l’objet d’un contrat. La signature de ce contrat ne saurait suffire en elle-même, il s’agit d’un contrat non négociable dont les personnes ne connaissent pas le type d’aide qui va leur être apportée ni le comment.
Dans cette première phase il est important de souligner, de faire comprendre que la  décision
du mandant est incontournable. En matière judiciaire, l’appel des mesures éducatives même prises au pénal n’est pas suspensif.

2- Intégration de la mauvaise nouvelle :

La séparation de la phase 1 et 2 est purement technique, il est évident qu’elles sont parfois concomitantes, mais la première est indispensable.
L’arrivée de la mauvaise nouvelle a déclenché des processus de défense, des sentiments de honte, de colère etc. Ces sentiments ne sont pas seulement liées à la décision, ils s’inscrivent dans le système plus large dans lequel vit le jeune ou la famille : voisinage, travail, famille élargie. C’est la deuxième mauvaise nouvelle. Cet aspect mérite d’être travaillé ; souvent il n’est pas abordé spontanément. Tous les membres présents n’ont pas les mêmes préoccupations. Un enfant par exemple peut se demander si la famille ne risque pas de l’abandonner, de le rejeter et la course à « on va voir si vous m’aimez vraiment » surtout chez les adolescents risque de commencer. Il va multiplier les comportements inadéquats pour mesurer la réalité de l’amour de ses parents.
Il est aussi assez fréquent que l’agressivité déclenchée par la décision se retourne vers le travailleur social comme s’il en était le responsable.
Cette phase  d'expression des émotions, des ressentis, mérite d’être longuement travaillée. Elle va conditionner la troisième phase, souvent elle doit faire l’objet de plusieurs séances de travail.
3 – Comment la famille ou le jeune va modifier sa façon de vivre en fonction de cette nouvelle situation.

Cette phase va constituer le début du travail éducatif, elle va permettre de déterminer quels sont les problèmes et les formuler de manière à les rendre accessibles à une solution. (3) Cette séquence peut débuter en demandant aux personnes présentes quelles solutions ils ont déjà essayées, regarder avec eux comment elles n’ont pas donné les résultats escomptés. Il s’agit de comment et non de pourquoi. Cette façon d’aborder la phase de changement induit que le travailleur social est parti prenant du changement, qu’il l’accompagne mais que les ressources sont chez les personnes concernées.

Le mandat peut être assimilé à un « objet flottant » dans le sens où l’entendent Philippe CAILLE et Yveline REY (4) même s’il en diffère par la forme. Le travailler va permettre d’explorer les sentiments familiaux, l’environnement, les interactions tant à l’intérieur de la famille qu’avec son contexte ou la famille élargie.

Cette façon d’aborder le travail sous mandat permet au travailleur social en posant sa technicité, son rôle de facilitateur dans l’expression des sentiments, des préoccupations, des souffrances, sa capacité à les comprendre et les légitimer en tant que sentiments, de créer du « liant » avec la famille, de rechercher  et valoriser leurs compétences, leur savoir faire. Son implication comme aide à trouver des solutions va lui permettre de sortir du rôle de contrôle que peut lui donner le mandat sans pour cela nier les contraintes qui en découlent.

B. HERMAN    JP PIQUEMAL

(1)P SEGOND, Christiane CHIROL consultation familiale dans un contexte judiciaire, Thérapie familiale, Genève 1997 N°18
(2) M.SELVINI-PALAZZOLI la naissance d’une approche systémique globale in Thérapie familiale, Genève1983 N°1
(3) Jay HALEY, Nouvelles stratégies en thérapie familiale, Thérapies/Jean Pierre DELAGE 1979
(4) Philippe CAILLE et Yveline REY, Les objets flottants – à la redécouverte de la relation d’aide ESF