TECHNIQUES EN THERAPIE FAMILIALE STRATEGIQUE

 

TECHNIQUES EN THERAPIE FAMILIALE STRATEGIQUE

 

 

Il s’agit ici de donner quelques aperçus des techniques utilisées en thérapie familiale systémique stratégique. Ceci n’est pas un modèle en ce sens qu’il serait contre productif de vouloir aspirer dans notre modèle thérapeutique ce qui nous apparaît comme la réalité du patient. La systémique a jusqu’à aujourd’hui, échappé aux querelles de chapelle du fait  que chacun a puisé, dans les compétences des autres modèles d’intervention systémique, ce qui correspondait le mieux à sa personne, à son style. Qui pourrait aujourd’hui dire qu’il est inféodé à une école ? Nous butinons tous pour trouver notre style pour un meilleur confort dans le travail et permettre à la famille de mobiliser ses capacités de changement. Quelle que soit leur « référentiel », la nouvelle génération des thérapeutes familiaux intègre plus ou moins à son registre technique des outils provenant de diverses approches systémiques :

  • Injonction paradoxale de SELVINI ;
  • Objets flottants de CAILLE et REY ;
  • Questionnement circulaire de CECCHIN et BOSCOLO ;
  • Sculpturation de SATIR et ONIS ;
  • Cartes familiales de MINUCHIN ;
  • Génogramme de BOWEN ;


Dans ce court document je souhaite exposer quelques caractéristiques de la thérapie familiale stratégique aussi bien dans l’appréhension des situations que dans les outils.
Ce document s’appuie sur les travaux de MALAREWICZ (De l’hypnose à la thérapie stratégique), Jay HALEY (Nouvelles stratégies en thérapie familiale), BOSCOLO et CECCHIN de l’école de Milan, et les enseignements de Siegi HIRSCH.

Cadre et positionnement du thérapeute :

Ces éléments ne sont pas propres aux thérapeutes familiaux stratégiques mais il me parait essentiel de reprendre ce qui, souvent, conditionne l’efficacité de toute intervention systémique. Pourquoi redire mal ce que d’autres ont clairement exprimés ? Je me contenterai donc de reprendre quelques écrits de thérapeutes familiaux avec un choix naturellement partiel et partial :

  • Gerrit LOOTS, de l’université de Bruxelles : « ce ne sont pas les techniques et les stratégies qui sont importantes mais la création d'un contexte interpersonnel dans lequel les techniques sont utilisées et la façon dont elles sont utilisées... »
  • Gianfranco CECCHIN,  le « thérapeute doit se garder de se sentir un expert pour ne pas se comporter en enseignant ou en moraliste. Le risque étant alors de perdre de vue que, même dans les situations les plus désastreuses, les systèmes ont suffisamment de ressources pour être encore en vie. Ce positionnement du thérapeute permet à la famille de démontrer son expertise à survivre à des situations difficiles et de s’inventer, avec l’aide du thérapeute, une nouvelle histoire. Le «  respect, notion complexe qui a bien d’autres significations que celles de l’étymologie (voir, être vu), significations qui doivent être explorées pour chaque patient pour ne pas entrer dans des malentendus. En thérapie, écouter, se montrer gentil avec un patient ne suffit pas pour lui témoigner du respect et c’est même parfois l’effet inverse qui est produit ».

« Comme il est impossible de ne pas communiquer, il est impossible de ne pas avoir d’hypothèse. Pourquoi un thérapeute doit–il contrôler son désir de formuler une hypothèse, une idée ? Aussi longtemps qu’il ne tombe pas amoureux de l’hypothèse…Il peut employer les hypothèses comme des descriptions plutôt que comme des explications »

  • Irène BOUAZIZ et Chantal GAUDIN :

« La fascination de la technologie du questionnement ne peut occulter l'importance du mouvement général de l'intervention (processus) au sein duquel elle doit s'insérer ».
« Il peut parfois être pertinent de demander aux patients comment ils perçoivent que nous les voyons ».

  • Jay HALEY :

« en caractérisant une situation sociale par la description d’une « mère autoritaire et un père passif » ou d’une « relation fusionnelle entre mère et fille » , un thérapeute crée des difficultés tout en pensant qu’il ne fait qu’identifier des problèmes. La façon d’étiqueter un dilemme humain (comme un diagnostique ou une interprétation) peut cristalliser un problème et le rendre chronique » .
« Quelle que soit sa position militante en tant que citoyen, l’obligation du thérapeute en tant que tel est de définir l’unité sociale qu’il peut changer de manière à résoudre le problème présenté par son client ».

  • MALAREWICZ à propos de la position basse du thérapeute : « il est évident que cette position ne peut être constamment tenue ; dans la mesure où le thérapeute garde cette possibilité, il reste maître de la conduite de la thérapie ».
  • Giorgio NARDONE : « La meilleure épistémologie (étude de la théorie) est celle qu'on garde au frigo et que l'on goûte à certains moments ; pour la thérapie on a besoin d’une logique efficace ». Cette formule d’un thérapeute familial systémique, spécialiste des thérapies brèves, aux formules souvent provocatrices, contient l’idée que si méthodologie, philosophie, théorie sont indispensables, le temps de la séance est celui de l’engagement du thérapeute.

 

Le changement :

La demande de changement est ambiguë. L’être humain est à la fois biologique et psychologique. L’être biologique est soumis au changement, l’être psychologique répugne au changement. Lorsque l’on demande « si tel comportement changeait chez Pierre que se passerait-il ? » La réponse est souvent difficile et souvent il s’agit d’une réponse homéostatique.
Nous connaissons tous l’ambivalence de la demande de changement « changez Pierre sans rien changer à la famille ».
La résistance au changement est comprise dans toute demande de thérapie et est encore plus prégnante lorsque la personne est adressée par un tiers. Elle ne vise pas le thérapeute en tant que personne, mais lui comme menace de changement. La résistance est considérée comme un mouvement et ce mouvement peut être utilisé par le thérapeute. S’y opposer est souvent source de rupture du processus thérapeutique. Quand nous travaillons le changement nous avons aussi en charge le non changement.


Le langage du corps :

« L’apprentissage du langage non verbal devrait constituer la base de toute formation en psychothérapie ; Le corps remplace bien des mots aussi bien pour le patient que pour le thérapeute. » (MALAREWICZ)
On trouve  cette même idée chez Virginia SATIR.
Il convient toutefois de sortir des idées reçues  à propos du langage non verbal :

  • On ne peut mesurer le degré de sincérité d’un propos par le décodage non verbal. Nous pouvons avoir à l’esprit plusieurs niveaux de logique en même temps ; ainsi nous pouvons de façon légitime montrer quelque chose et autre chose en même temps. Nous ne sommes pas dans la recherche du mensonge mais dans l’appréhension de la complexité.
  • On ne peut décoder le langage non verbal selon une méthode simple, tel geste signifie telle chose. En effet le langage analogique doit être constamment réévalué en fonction  des dimensions personnelles, (sans exclure celle du thérapeute) interactionnelles et culturelles.

 

L’utilisation du non verbal par le thérapeute :

La congruence entre ce que je dis et ce que je montre est importante. Lorsque le contenu (verbal) et l’analogique (non verbal) sont trop éloignés, il devient pour la personne difficile d’accéder au contenu.
D’où notre credo « ne faites que ce que vous sentez bien ! »

Le symptôme :

Remettre autant que possible le symptôme dans sa dimension relationnelle, pour sortir de la fatalité, permet au thérapeute de plus nombreuses possibilités de travail.
La manifestation du symptôme est « normale », elle correspond à une réponse appropriée dans le contexte de la personne, la plus part des personnes sont d’excellents auto thérapeutes ! En corollaire le patient peut, avec l’aide du thérapeute, apprendre à devenir son propre thérapeute.
C’est ainsi que l’on pourra parler « d’apprentissage de l’apprentissage qui dépasse, parfois de très loin, les intentions du patient » (MALAREWICZ)

La notion d’apprentissage en thérapie systémique stratégique :

Il ne s’agit pas ici d’apprentissage au sens traditionnel, ni même au sens utilisé par le cognitivo comportementalisme.
Quand on  parle d’apprentissage par l’échec, il s’agit d’une forme de recadrage : « lorsque le patient accepte de montrer comment il fait pour ne pas savoir faire » cela devient une capacité.
La prescription du symptôme, avec un léger changement introduit une boucle de rétroaction qui oblige à trouver une autre réponse. (Apprentissage auto référentiel)
ERICKSON cite l’exemple :
Face à un patient qui se ronge les ongles depuis l’âge de 4 ans ERICKSON entame le dialogue suivant :
« Cela fait dix huit ans que vous vous arrachez consciencieusement les ongles. Eh bien je dois vous dire que je vous admire. Cela fait dix huit ans de frustration !
Que voulez vous dire ?
Dix huit ans de frustration !! ………Dix huit ans que vous vous privez du plaisir…extraordinaire…d’arracher…un gros morceau d’ongle ! »
Il proposait ainsi au patient de continuer à faire la même chose mais en le faisant mieux !

L’apprentissage par le comportement relationnel  paradoxal :

Il s’agit de changer totalement un des effets relationnels du symptôme :
Alice est veilleuse de nuit dans un IMP, elle est confrontée avec sa collègue au comportement d’un garçon de 14 ans qui est encoprétique assez régulièrement la nuit.  Naturellement elles ont essayé tous les comportements habituels dans ce genre de situation : lui faire refaire son lit, lui faire aller chercher un poche poubelle pour mettre le linge souillé, lui faire « la tête », des reproches « tu pourrais te retenir ou appeler » sans compter les réveils nocturnes pour éviter qu’il « salisse » son lit etc…
En parlant avec elles de cette situation, je remarque que dès qu’il est encoprétique, le garçon les mobilise le matin. D’autre part, ces matins là, il se réveille une demi heure avant l’arrivée des éducateurs.
La stratégie mise en place a été la suivante : « chaque matin vous réveillerez Paul une demie heure avant l’arrivée des éducateurs et avant qu’il ne se réveille lui-même, chaque fois qu’il aura fait vous le féliciterez et déferrez son lit sans rien lui demander, s’il n’as pas fait vous prendrez une attitude déçue. »
Rapidement les moments d’encoprésie se sont espacés, puis ont disparus.

Le questionnement circulaire :

Les familles qui viennent en consultation ont généralement des plaintes à exprimer, des descriptions de comportements, des regrets, à exprimer. Leur façon de s’exprimer est généralement construite sur un modèle communicationnel que chaque membre maîtrise.
Le thérapeute a le risque de s’engluer dans ce modèle et d’ « oublier » de repositionner la situation en termes d’inter action.
Le questionnement circulaire portera sur plusieurs  aspects :


Comment ils sont venus ici :

  • Qui a décidé ? Qui a téléphoné ? Qui a pris rendez-vous ?
  • Comment en avez-vous parlé aux autres membres de la famille ? A quel moment, dans quelle pièce ?
  • Quelles ont été les réponses ? : « Qu’a dit Pierre quand vous lui en avez parlé ? « Qui a été le plus surpris ? » « Vous vous attendiez à ces réponses ? »

 

La définition du problème :

  • Qui l’a constaté en premier ?
  • Qui est le plus inquiet, le plus touché, le plus énervé ? A quoi vous voyez son inquiétude ?
  • Sur l’environnement familial et/ou social, professionnel :
  • Avec qui en avez-vous parlé ? Quelles ont été les réactions ? Qu’a dit X ?
  • Avez-vous l’intention d’informer vos parents ?
  • Quelles ont été les réactions de votre entourage, sur votre lieu de travail ?

Naturellement ce questionnement sur les impacts sur le contexte de vie ne s’impose que si le symptôme est connu par d’autres.

Sur les interactions et la structure relationnelle familiale :

  • Coalitions,
  • Loyautés,
  • Prémisses,
  • Patterns transactionnels,
  • Proximité – distance

Sur ces points je vous renvoie à la lecture du livre « L’école de Milan » (CECCHIN, PRATA, HOFFMAN, PENN)

Prescription du symptôme :

Cette technique a fait la joie des pourfendeurs de l’approche systémique « la systémie c’est simple tu dis aux gens de ne pas changer !  Donc ta thérapie marche à tous les coups ! »
Pour pouvoir prescrire le symptôme trois  conditions concernant le symptôme :

  • Le symptôme a été replacé dans sa dimension relationnelle,
  • Il est identifié. Parce que des symptômes peuvent être un moyen de défense contre l’apparition d’un autre symptôme plus « grave » pour le patient. C’est ce que l’on peut rencontrer chez des personnes qui luttent contre l’angoisse par des comportements ritualisés, perçus parfois comme « obsessionnels » alors qu’il ne s’agit que de comportements visant à empêcher l’apparition de l’angoisse,
  • Il peut être recadré dans sa fonction par rapport au système et au maintien de l’homéostasie.

 

Pour la prescription elle-même :

  • Elle s’inscrit dans le cadre paradoxal,
  • Elle implique toute la famille,

Gardons présent à l’esprit que la personne n’est pas, ne doit pas, être dans une position de dépendance vis-à-vis du thérapeute ; ceci afin de ne pas l’enfermer dans un cadre de « double contrainte ». Il peut éventuellement méta communiquer sur la prescription.

L’utilisation du paradoxe :

Comme dans la prescription du symptôme ci-dessus, le paradoxe vise à mettre la personne dans une « obligation » de changement. Obligation toute relative car il peut et doit avoir la possibilité de recadrer l’énoncé du thérapeute.
Le paradoxe, ici, a une dimension provocatrice, il propose un recadrage de la situation ou du symptôme « en fait suivi ou non à partir du moment où il énoncé  et  ne peut plus être ignoré, le paradoxe produit un effet » il « vise essentiellement à redonner au patient une possibilité de contrôle de la situation » (MALAREWICZ) ;

Quelques paradoxes thérapeutiques :

  • « comment faites vous pour réussir vos échecs ? »,
  • « Que savez-vous faire comme autre symptôme ? »
  • « Pouvez-vous demander à votre femme de vous rapprocher d’elle de telle manière qu’elle refuse ? »
  • « Montre-moi ici comment tu mets papa en colère »
  • « Combien de temps me donnez-vous pour me mettre en échec ? » pour les familles qui arrivent en disant que de toute façon on ne peut rien faire pour eux et/ou qu’ils ont déjà fait plusieurs démarches thérapeutiques n’ayant pas aboutit.

 

Les jeux relationnels :

Le thérapeute joue le rôle d’une personne en séance et vérifie auprès des autres membres de la famille si c’est bien comme cela que fait Pierre. L’objectif est double :

  • Recadrer le comportement comme un jeu (relationnel)
  • Dédramatiser la situation en introduisant de l’humour.

 

La voix off :

Le thérapeute se place derrière la personne concernée et exprime, non pas ce qu’il croit que la personne ressent, mais ce lui ressent dans la situation.

Les personnes citées en référence :
Jacques Antoine MALAREWICZ : Médecin psychiatre thérapeute familial, exerçant en cabinet privé et consultant en entreprise. Pratique l’hypnose Eriksonnienne et la thérapie familiale stratégique.
Giorgio NARDONE est un psychothérapeute italien représentant du courant de la thérapie brève stratégique. Directeur de Centre de Thérapie Stratégique d'Arezzo en Italie, il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages de référence sur la thérapie brève. En 2003, il contribue à la création de l'Association européenne de thérapie brève et stratégique avec notamment Mony ELKAIM, Gianfranco CECCHIN, Stefan GEYERHOFER, Jean-Jacques WITTEZAELE et Wendel RAY.
Gianfranco CECCHIN : Un des fondateurs de l’équipe de Milan avec SELVINI, PRATA, BOSCOLO. Son intervention se situe dans l’idée des thérapies stratégiques et narratives.
Irène BOUAZIZ et Chantal GAUDIN : médecins psychiatres en région parisienne co fondatrices de l’association « Paradoxe ». Travaillent sur les thérapies brèves stratégiques.
Gerrit LOOTS de l’université de Bruxelles , auteur d’une recherche sur les processus thérapeutiques dans les thérapies de couple conduite dans le cadre d’une approche collaborative dans laquelle le thérapeute adopte une  position de non-savoir visant à renforcer   la collaboration avec le patient.
Bibliographie :
SATIR, V. (1971).  Thérapie du couple et de la famille.  Paris: épi.
BLOCH, D. A. (1979).  Techniques de base en thérapie familiale.  Montréal : Éditions France-Amérique.  
SELVINI PALAZZOLI, M., BOSCOLO, L., CECCHIN, G. et PRATA, G.  Paradoxe et contre-paradoxe.  Paris : Les éditions ESF.  138
BOSCOLO L. G. CECCHIN, L.HOFFMAN, P. PENN, Le modèle milanais de thérapie familial, Théorie et pratique, ESF